La prise en charge de l’accident : de l’hippodrome à la clinique vétérinaire
Acteurs indispensables du bien-être équin et de la régularité des courses, les vétérinaires intervenant sur les hippodromes sont des urgentistes formés aux soins en cas de blessure. Sur place, ils possèdent le matériel nécessaire et adapté pour intervenir en urgence, faire les premiers soins, suturer les plaies éventuelles, immobiliser les membres lors d’atteinte plus lourdes, un van pour transporter le cheval blessé et faire dans certains cas des examens radiographiques si nécessaire.
Les vétérinaires sont en relation avec des cliniques vétérinaires qui les accompagnent pour évaluer la situation. Un contact indispensable qui leur permet d’être au courant des dernières avancées médicales, en plus des formations qu’ils suivent régulièrement. Ainsi, en cas de problème de santé survenant sur l’hippodrome, ils sont les premiers maillons d’une chaîne de soins dont la priorité est la prise en charge rapide de l’animal.
Différentes situations, plus ou moins graves, requièrent l’intervention des vétérinaires de piste : de l’examen d’un cheval qui semble fébrile ou s’est légèrement blessé, au traitement d’urgence d’accidents graves. Dans le cas d’un cheval qui saigne des naseaux après une course, une endoscopie peut être effectuée sur certains hippodromes. Tout cheval examiné par le vétérinaire de piste est ensuite orienté vers son vétérinaire traitant habituel pour prendre le relais.
Concernant les fractures, la priorité du vétérinaire est de sauver l’animal mais dans certains cas, l’examen de la fracture sans même recours à la radiographie fait apparaître de façon certaine que la blessure est irréversible. Les fractures ouvertes par exemple, ou les fractures vertébrales avec section de la moelle épinière puisqu’un cheval est incapable de se déplacer en fauteuil roulant. Les vétérinaires ont également en tête la vie future du cheval qui doit être la plus décente possible.
Face à ce type de blessures, qui restent rares, l’euthanasie s’avère être la seule solution possible afin d’abréger rapidement les souffrances de l’animal. Mais bien qu’elle soit réalisée de façon murement réfléchie, il ne s’agit jamais d’un acte anodin pour les vétérinaires dont le rôle premier est de sauver.
Article réalisée grâce à la contribution des Docteurs Fabrice Rossignol et Ariane Campos
Fabrice Rossignol est chirurgien équin à la Clinique vétérinaire de Grosbois. Chaque jour, il y reçoit, avec son équipe, des chevaux notamment de course et traite toute sorte de fractures. Ariane Campos est résidente à l'European College Of Veterinary Surgeons.
- Est-il difficile d’immobiliser un cheval qui vient de subir une fracture ?
Non, mais ce qui est difficile c’est de le faire dans des environnement comme la piste de l’hippodrome ou l’écurie, car le cheval peut ressentir de l’anxiété et être apeuré suite à sa blessure. En tant que vétérinaires, nous sommes formés à trouver des astuces autres que le plâtre classique difficile à poser sur un cheval affolé. Il est par exemple possible de poser des attelles ou des bandages épais avec des tasseaux pour immobiliser le membre touché.
- Pourquoi certaines fractures ne sont pas opérables ?
Rappelons tout d’abord un chiffre important : au cours de leur carrière, 1 à 2% des chevaux de course de plat seront victime d’une lésion osseuse de type fêlure ou fracture. Il existe deux types de fractures : celles réparables, et celles qui ne le sont pas. Ces dernières sont en général des fractures situées au-dessus du genou ou des fractures ouvertes.
Pour comprendre pourquoi certaines fractures ne sont pas opérables, il faut avoir en tête l’anatomie du cheval. C’est un animal qui pèse entre 500 et 600 kilos et dont les os sont aussi fins que le radius d’un homme. On ne peut pas plâtrer le membre haut d’un cheval, c’est-à-dire au-dessus du genou, en raison de sa physiologie. Et pour le moment, les implants utilisés, du type plaques et vis, sont les mêmes que ceux utilisés chez les humains. Ils ne sont donc pas capables de supporter le poids de l’animal. Contrairement à l’être humain, le cheval ne peut pas rester allongé dans un lit, ni se déplacer en fauteuil roulant ou avec des béquilles. Il ne peut pas non plus vivre sur trois jambes puisqu’il risquerait de compenser sur celles valides et donc de souffrir de fourbures avec toutes les conséquences que cela entraîne. La fracture ouverte n’est pas non plus opérable car elle est souvent suivie d’une infection et donc d’une amputation, et là encore, un cheval ne peut pas vivre sur trois jambes. En tant que vétérinaires, notre priorité est de trouver toutes les solutions pour sauver les chevaux. Mais quand une vie future décente n’est pas envisageable pour eux, la décision choisie est celle de ne pas faire souffrir l’animal. - Parmi les fractures opérables, existe-t-il des conséquences post-opératoires ?
Tout dépend de la reconstruction de l’articulation. Par exemple, pour les fractures simples de la première phalange et du canon qui sont les plus courantes, le retour aux courses, sans séquelles, est possible dans environ 80% des cas. La gestion chirurgicale de ces fractures consiste à réduire et stabiliser avec des vis. Il s’agit d’une procédure rapide, qui dure environ une heure. En fonction de la localisation de la fracture et du tempérament du cheval, cette intervention ne nécessite pas obligatoirement une anesthésie générale et peut être réalisée sur un cheval debout sédaté.
D’autres fractures plus compliquées, telles que les fractures spiralées du canon, nécessitent une intervention chirurgicale plus technique. Il faut stabiliser le canon avec une plaque qui s’étend sur toute la longueur de l’os. Celle-ci est retirée deux mois plus tard lorsque la fracture est cicatrisée, afin de ne pas gêner le cheval qui pourra reprendre l’entraînement. Il existe aussi des fractures plus sévères et plus complexes dites comminutives. Elles sont plus rares. Elles se définissent par la présence de nombreux fragments d’un ou plusieurs os. Chez le cheval de course, ce type de lésion touche principalement les os sésamoïdes à l’arrière du boulet ou, plus rarement, la première phalange.
Ces fractures ne sont pas compatibles avec une carrière sportive. Mais grâce à l’amélioration des techniques chirurgicales, il existe aujourd’hui des options pour sauver la vie de l’animal et permettre ainsi une vie confortable au pré et une carrière de reproducteur. Il faut néanmoins rester très vigilant quant à la cicatrisation de ces fractures dramatiques. Il est généralement nécessaire de condamner les articulations impliquées, c’est-à-dire de les bloquer dans une position définitive, autrement dit d’effectuer une arthrodèse. L’intervention dure généralement trois à quatre heures.
La durée de convalescence post-chirurgie est de 6 à 8 mois en fonction de la sévérité de la fracture et de la complexité de l’intervention. Celle-ci commence par du repos au box pendant 3 mois environ, puis des sorties au pas en main. La réhabilitation se fait très progressivement dans les mois suivants. Le cheval peut généralement retourner en prairie entre 6 et 8 mois postopératoires. Certaines complications, telle que l’infection et la fourbure du membre controlatéral peuvent prolonger la période de convalescence et assombrir le pronostic vital. Des mesures préventives doivent être appliquées pour essayer à tout prix de les éviter ou du moins de limiter le risque au maximum.
- La médecine équine a-t-elle progressé ces dernières années ?
Oui, ces vingt dernières années, la chirurgie orthopédique chez le cheval a connu une évolution remarquable aussi bien dans la gestion de l’urgence que dans les techniques chirurgicales. Aujourd’hui, les entraîneurs n’hésitent plus à nous envoyer leurs chevaux blessés. Et je peux vous dire que les progrès sont exponentiels car nous sauvons des chevaux que nous n'aurions pas pu sauver il y a deux ans. La France a la chance de compter sur quelques chirurgiens pionniers dans ce domaine. Une quête continue d’amélioration se traduit par de nombreux projets de recherche et un partage scientifique entre spécialistes à travers le monde.
Il est important de noter que la survenue d’une fracture dramatique à l’entrainement ou en course est devenue rare, grâce notamment à une préparation physique adaptée des chevaux et une meilleure qualité des sols.
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